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| Subject: Le théâtre : texte et représentation Fri 14 May - 21:12 | |
| Le théâtre : texte et représentation Le sujet comprend :
- Texte A - Jean Rotrou, Le véritable Saint Genest (1647),
acte II, scène 4
- Texte B - Molière, L’Impromptu de Versailles (1682), acte
I, scène 1 (fin)
- Texte C - Jean Anouilh, La Répétition ou L’Amour puni
(1950), acte II (extrait)
- Texte D - Jean-Paul Sartre, Kean (1954), acte IV, cinquième
tableau, scène 2 (fin), adaptation de la pièce d’Alexandre Dumas
Texte A - Jean Rotrou, Le véritable Saint Genest Genest est un acteur païen. Il doit jouer un drame retraçant te martyre du chrétien Adrien, devant l’empereur romain Dioclétien, qui persécute les chrétiens. Genest va s’identifier au cours de cette scène à son personnage, Adrien. GENEST, seul, repassant son rôle, et se promenant. Il serait, Adrien, honteux d’être vaincu Si ton dieu veut ta mort, c’est déjà trop vécu ; J’ai vu (Ciel, tu le sais, par le nombre des âmes Que j’osai t’envoyer, par des chemins de flammes) Dessus les grils ardents, et dedans les taureaux1, Chanter les condamnés, et trembler les bourreaux.Il répète ces quatre vers. J’ai vu (Ciel, tu le sais, par le nombre des âmes Que j’osai t’envoyer, par des chemins de flammes) Dessus les grils ardents, et dedans les taureaux, Chanter les condamnés, et trembler les bourreaux.Et puis ayant un peu rêvé, et ne regardant plus son rôle, il dit : Dieux, prenez contre moi ma défense et la vôtre ; D’effet, comme de nom, je me trouve être un autre ; Je feins moins Adrien, que je ne le deviens, Et prends avec son nom, des sentiments Chrétiens ; Je sais (pour l’éprouver) que par un long étude2, L’art de nous transformer, nous passe en habitude ; Mais il semble qu’ici, des vérités sans fard, Passent3, et l’habitude, et la force de l’art, Et que Christ me propose une gloire étemelle, Contre qui ma défense est vaine et criminelle ; J’ai pour suspects vos noms de Dieux et d’immortels ; Je répugne aux respects qu’on rend à vos autels ; Mon esprit à vos lois secrètement rebelle, En conçoit un mépris qui fait mourir son zèle ; Et comme de profane, enfin sanctifié, Semble se déclarer, pour un crucifié ; Mais où va ma pensée, et par quel privilège Presque insensiblement, passé4-je au sacrilège, Et du pouvoir des Dieux, perds-je le souvenir ? II s’agit d’imiter, et non de devenir.
1 II arrivait qu’on martyrisât les chrétiens en les faisant brûler dans des taureaux de bronze. Toutes ces références renvoient à des pratiques de supplices qui leur étaient infligés. 2 Étude : masculin au XVIIe siècle. 3 Passent : surpassent. 4 Passé-je : inversion de « je passe ».
Texte B - Molière, L’Impromptu de Versailles Dans cette œuvre, Molière se met lui-même en scène, distribuant aux acteurs de sa troupe les rôles d’une petite pièce rapidement conçue, qui garde un caractère d’improvisation — d’où le titre d’« impromptu ». MOLIÈRE.- Pour vous, Mademoiselle… MADEMOISELLE DU PARC- Mon Dieu, pour moi, je m’acquitterai fort mal de mon personnage, et je ne sais pas pourquoi vous m’avez donné ce rôle de façonnière1. MOLIÈRE.- Mon Dieu, Mademoiselle, voilà comme vous disiez lorsque l’on vous donna celui de La Critique de l’École des femmes ; cependant vous vous en êtes acquittée à merveille, et tout le monde est demeuré d’accord qu’on ne peut pas mieux faire que vous avez fait, croyez-moi, celui-ci sera de même, et vous le jouerez mieux que vous ne pensez. MADEMOISELLE DU PARC.- Comment cela se pourrait-il faire, car il n’y a point de personne au monde qui soit moins façonnière que moi. MOLIÈRE.- Cela est vrai, et c’est en quoi vous faites mieux voir que vous êtes excellente comédienne, de bien représenter un personnage qui est si contraire à votre humeur2, tâchez donc de bien prendre tous le caractère de vos rôles, et de vous figurer que vous êtes ce que vous représentez. (À du Croisy.) Vous faites le poète, vous, et vous devez vous remplir de ce personnage, marquer cet air pédant qui se conserve parmi le commerce3 du beau monde, ce ton de voix sentencieux, et cette exactitude de prononciation qui appuie sur toutes les syllabes, et ne laisse échapper aucune lettre de la plus sévère orthographe. (À Brécourt.) Pour vous, vous faites un honnête homme de cour, comme vous avez déjà fait dans La Critique de l’École des femmes, c’est-à-dire que vous devez prendre un air posé, un ton de voix naturel, et gesticuler le moins qu’il vous sera possible. (À de la Grange.) Pour vous je n’ai rien à vous dire. (À Mademoiselle Béjart.) Vous, vous représentez une de ces femmes qui, pourvu qu’elles ne fassent point l’amour4, croient que tout le reste leur est permis, de ces femmes qui se retranchent toujours fièrement sur leur pruderie5, regardent un chacun de haut en bas, et veulent que toutes les plus belles qualités que possèdent les autres ne soient rien en comparaison d’un misérable honneur dont personne ne se soucie, ayez toujours ce caractère devant les yeux, pour en bien faire les grimaces6. (À Mademoiselle de Brie.) Pour vous, vous faites une de ces femmes qui pensent être les plus vertueuses personnes du monde, pourvu qu’elles sauvent les apparences, de ces femmes qui croient que le péché n’est que dans le scandale, qui veulent conduire doucement les affaires qu’elles ont sur le pied d’attachement honnête, et appellent amis ce que les autres nomment galants7, entrez bien dans ce caractère. (À Mademoiselle Molière.) Vous, vous faites le même personnage que dans La Critique, et je n’ai rien à vous dire non plus qu’à Mademoiselle du Parc. (À Mademoiselle du Croisy.) Pour vous, vous représentez une de ces personnes qui prêtent doucement des charités8 à tout le monde, de ces femmes qui donnent toujours le petit coup de langue en passant, et seraient bien fâchées d’avoir souffert qu’on eût dit du bien du prochain ; je crois que vous ne vous acquitterez pas mal de ce rôle. (À Mademoiselle Hervé.) Et pour vous, vous êtes la soubrette de la précieuse, qui se mêle de temps en temps dans la conversation, et attrape comme elle peut tous les termes de sa maîtresse ; je vous dis tous vos caractères, afin que vous vous les imprimiez fortement dans l’esprit. Commençons maintenant à répéter, et voyons comme cela ira. Ah ! voici justement un fâcheux, il ne nous fallait plus que cela.
1 personne façonnière : qui fait des manières, qui manque de simplicité. 2 humeur : caractère naturel. 3 commerce : la fréquentation. 4 « faire l’amour » : pour les femmes, se laisser courtiser. 5 pruderie : manifestation outrée de pudeur, à l’égard de tout ce qui touche aux sentiments, à l’amour, à la sexualité. 6 « pour en bien faire les grimaces » : pour bien jouer ce caractère. 7 galants : ceux qui cherchent à plaire aux femmes et leur font la cour. 8 charités : bienfaits inspirés par l’amour du prochain.
Texte C - Jean Anouilh, La Répétition ou l’Amour puni Les personnages répètent une représentation privée de La Double Inconstance, de Marivaux, dont les répliques sont inscrites entre guillemets. Le Comte fait office de metteur en scène. HORTENSIA « Que voulez-vous, ces gens-là pensent à leur façon et souhaiteraient que le prince fût content. » LE COMTE Bien, Hortensia ! LUCILE « Mais ce prince, que ne prend-il une fille qui se rende à lui de bonne volonté ? Quelle fantaisie d’en vouloir une qui ne veut pas de lui. Quel goût trouve-t-il à cela ? » LA COMTESSE, au Comte que Lucile a regardé en jouant. Signalez-lui que le prince n’est pas en scène, Tigre1. C’est Hortensia qu’il faut regarder. LUCILE « Car c’est un abus que tout ce qu’il fait : tous ces concerts, ces comédies, ces grands repas qui ressemblent à des noces, ces bijoux qu’il m’envoie. Tout cela lui coûte un argent infini. C’est un abîme, il se ruine. Demandez-moi ce qu’il y gagne. Quand il me donnerait toute la boutique d’un mercier, cela ne me ferait pas tant de plaisir qu’un petit peloton2 qu’Arlequin m’a donné. » HORTENSIA « Je n’en doute pas. Voilà ce que c’est l’amour. J’ai aimé de même. Et je me reconnais au peloton. » (Au Comte.) Est-elle sincère en disant cela ? Je sens que je parle faux. A-t-elle aimé vraiment ? A-t-elle un jour préféré un petit peloton de laine à tous les bijoux du prince ? LE COMTE Et vous, ma chère Hortensia ? HORTENSIA Tigre, ii ne s’agit pas de moi. Si c’est un jeu que vous jouez, il n’est pas drôle ! Vous venez de dire que nous n’étions pas nous… LE COMTE Pardon. Quand j’ai distribué la pièce, j’ai très bien su ce que je faisais. Vous l’avez parfaitement dite votre réplique. HORTENSIA Je l’ai donnée « sincère ». LE COMTE Et comme vous n’avez jamais préféré le moindre peloton de laine à votre plaisir, en la donnant « sincère » vous avez eu l’air abominablement faux3. C’était parfait. C’est ce que je voulais. Continuez.
1 Tigre : la Comtesse appelle le Comte ainsi. 2 Peloton : petite pelote de fil roulé. 3 Donc, selon le Comte, en conformité avec le personnage que joue Hortensia.
Texte D - Jean-Paul Sartre, Kean Dans sa première version, cette œuvre était sous-titrée « Désordre et génie ». À Londres, Kean, acteur célèbre, joue Othello, de Shakespeare. Othello, jaloux, tue sa femme, Desdémone, en l’étouffant avec un oreiller. Or, dans la salle, se trouve Eléna, la femme du comte, ambassadeur du Danemark, et Kean en est amoureux. Mais il la croit convoitée par le prince de Galles, assis à côté d’elle. Soudain, Kean, depuis la scène, s’adresse à eux. KEAN. […] (Tourné vers Eléna). Vous, Madame, pourquoi ne joueriez-vous pas Desdémone ? Je vous étranglerais si gentiment ? (Élevant l’oreiller au-dessus de sa tête.) Mesdames, Messieurs, l’arme du crime. Regardez ce que j’en fais. (Il le jette devant l’avant-scène, juste aux pieds d’Eléna.) À la plus belle. Cet oreiller, c’est mon cœur ; mon cœur de lâche tout blanc : pour qu’elle pose dessus ses petits pieds. (À Anna.) Va chercher Cassio, ton amant : il pourra désormais te cajoler sous mes yeux1. (Se frappant la poitrine.) Cet homme n’est pas dangereux. C’est à tort qu’on prenait Othello pour un grand cocu royal. Je suis un co… co… un… co… co…mique. (Rires. Au prince de Galles.) Eh bien, Monseigneur, je vous l’avais prédit : pour une fois qu’il me prend une vraie colère, c’est l’emboîtage2. (Les sifflets redoublent : « À bas Kean ! À bas l’acteur ! » Il fait un pas vers le public et le regarde. Les sifflets cessent.) Tous, alors ? Tous contre moi ? Quel honneur ! Mais pourquoi ? Mesdames, Messieurs, si vous me permettez une question. Qu’est-ce que je vous ai fait ? Je vous connais tous mais c’est la première fois que je vous vois ces gueules d’assassins. Est-ce que ce sont vos vrais visages ? Vous veniez ici chaque soir et vous jetiez des bouquets sur la scène en criant bravo. J’avais fini par croire que vous m’aimiez… Mais dites donc, mais dites donc : qui applaudissiez-vous ? Hein ? Othello ? Impossible : c’est un fou sanguinaire. Il faut donc que ce soit Kean. « Notre grand Kean, notre cher Kean, notre Kean national » Eh bien le voilà, votre Kean ! (Il tire un mouchoir de sa poche et se frotte le visage. Des traces livides apparaissent.) Oui, voilà l’homme. Regardez-le. Vous n’applaudissez pas ? (Sifflets.) C’est curieux, tout de même : vous n’aimez que ce qui est faux. LORD MEWILL, de sa loge. - Cabotin ! KEAN. - Qui parle ? Eh ! Mais c’est Mewill3 ! (Il s’approche de la loge.) J’ai flanché tout à l’heure parce que les princes m’intimident, mais je te préviens que les punaises ne m’intimident pas. Si tu ne fermes pas ta grande gueule, je te prends entre deux ongles et je te fais craquer. Comme ça. (Il fait le geste. Le public se tait.) Messieurs dames, bonsoir. Roméo, Lear et Macbeth4 se rappellent à votre bon souvenir : moi je vais les rejoindre et je leur dirai bien des choses de votre part. Je retourne dans l’imaginaire où m’attendent mes superbes colères. Cette nuit, Mesdames, Messieurs, je serai Othello, chez moi, à bureaux fermés5, et je tuerai pour de bon. Évidemment, si vous m’aviez aimé… Mais il ne faut pas trop demander, n’est-ce pas ? À propos, j’ai eu tort, tout à l’heure, de vous parier de Kean. Kean est mort en bas âge. (Rires.) Taisez-vous donc, assassins, c’est vous qui l’avez tué ! C’est vous qui avez pris un enfant pour en faire un monstre6 ! (Silence effrayé du public.) Voilà ! C’est parfait : du calme, un silence de mort. Pourquoi siffleriez-vous : il n’y a personne en scène. Personne. Ou peut-être un acteur en train de jouer Kean dans le rôle d’Othello. Tenez, je vais vous faire un aveu : je n’existe pas vraiment, je fais semblant. Pour vous plaire, Messieurs, Mesdames, pour vous plaire. Et je… (Il hésite et puis, avec un geste « À quoi bon ! ».)… c’est tout. Il s’en va, à pas lents, dans le silence ; sur scène tous les personnages sont figés de stupeur. Salomon7 sort de son trou, fait un geste désolé au public et crie en coulisse : SALOMON. - Rideau ! voyons ! Rideau ! UN MACHINISTE. - J’étais allé chercher le médecin de service. SALOMON. - Baisse le rideau, je te dis… (Il s’avance vers le public.) Mesdames et Messieurs… la représentation ne peut continuer. Le soleil de l’Angleterre s’est éclipsé : le célèbre, l’illustre, le sublime Kean vient d’être atteint d’un accès de folie. Bruit dans le public. Le comte réveillé en sursaut se frotte les yeux. LE COMTE. - C’est fini ? Eh bien, Monseigneur, comment trouvez-vous Kean ? LE PRINCE, du ton que l’on prend pour féliciter un acteur de son jeu. - Il a été tout simplement admirable.Rideau
1 Anna joue Desdémone. Cassio est, dans la pièce de Shakespeare, celui qu’Othello pense être son amant ; de même, Kean suspecte le prince et Eléna. 2 Emboîtage : action de siffler un acteur, une pièce. 3 Mewill : un aristocrate, convoitant Anna, la partenaire de Kean, humilié par ce dernier, mais qui, au nom de son rang, avait refusé de se battre avec un acteur. 4 Ce sont des personnages du théâtre de Shakespeare au destin fatal : Roméo, grand amoureux ; le roi Lear d’une part, et Macbeth, souverain usurpateur, d’autre part, sont tous deux en proie à la violence de leurs tourments. 5 À bureaux fermés : donc, sans public. 6 Enfant, Kean était un saltimbanque des rues. 7 Salomon est à la fois le valet, le confident, et le souffleur de Kean.
I. Après avoir lu attentivement les textes du corpus, vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) :Quelle question essentielle ces textes posent-ils sur le jeu des acteurs ? Remarque préliminaire :Dans l’objet d’étude « théâtre (texte et représentation) », les sujets ont cette fois nettement privilégié la représentation. Ils demandaient au minimum une expérience de spectateur. La question était donc moins scolaire que d’habitude. Tous ceux qui ont pratiqué le théâtre amateur ont certainement été récompensés de leurs efforts artistiques.Réponse :Le théâtre est par définition l’espace où un texte prend corps grâce au jeu des acteurs dirigés par un metteur en scène. Il présente donc cette ambivalence fondamentale d’appartenir à la fiction par le livret en même temps qu’à la réalité physique par la représentation. Aussi n’est-il pas étonnant que la question essentielle concernant le jeu des acteurs soit celle de la vérité (ou de la justesse) de l’interprétation. En d’autres termes, quels rapports l’acteur entretient-il avec son personnage ? Les quatre textes du corpus qui parcourent l’histoire du théâtre en France, du XVII e au XX e siècle, montrent assez la permanence des interrogations comme de l’étonnement des auteurs dramatiques. Dans le premier, un monologue tiré du Véritable Saint Genest de Rotrou, l’acteur éponyme est happé par son personnage. Cette conversion du païen qu’il était aux valeurs chrétiennes le fait frissonner : en effet un autre vit en lui, il devient un autre. L’accoutumance du jeu, « [cet] art de nous transformer [qui] nous passe en habitude » aurait dû permettre le retour à sa personnalité véritable, mais voilà qu’étrangement sa nature s’efface devant celle du personnage qu’il interprète. La découverte de cette aliénation est vécue avec étonnement et une certaine angoisse. « Il s’agit d’imiter et non de devenir ». Le second, extrait de L’Impromptu de Versailles, présente l’intérêt de montrer un auteur dramatique, Molière, se comportant en entrepreneur de spectacle. Il distribue les rôles en fonction des dons mais aussi de l’expérience passée des acteurs de sa troupe. Son souci est d’expliquer, de rassurer et d’encourager. L’art, pour l’acteur, ne consiste pas à jouer des rôles en accord avec sa personnalité, mais bien à simuler un personnage qui peut lui être complètement étranger. L’important est de disséquer les comportements attendus. « Tâchez donc de bien prendre tous le caractère de vos rôles, et de vous figurer que vous êtes ce que vous représentez ». Voilà le conseil du maître : pour un temps, l’acteur est celui qui prend un masque jusqu’à le confondre avec sa propre chair. Le troisième texte tiré de La Répétition ou L’Amour puni d’Anouilh est très proche du second en ce qu’il nous donne à voir une représentation privée de La Double Inconstance de Marivaux. Comme chez Molière, acteurs et metteur en scène, même s’il s’agit d’amateurs, s’interrogent sur les qualités attendues du comédien. Le quatrième, extrait de Kean de Jean-Paul Sartre, est proche du premier. Il nous rapporte le coup de folie qui bouleverse le comédien et le parterre. Agité par une passion brûlante, le génial comédien shakespearien en arrive à abolir les frontières entre l’illusion du spectacle et la terne réalité. Le comédien n’est-il jamais meilleur que lorsqu’il nous fait perdre nos repères familiers ? Ces quatre textes offrent un certain nombre de ressemblances marquantes par les débats qu’ils suggèrent. Un acteur est-il plus particulièrement prédisposé à jouer un type de personnage ? L’ensemble des auteurs répondent non. Le grand comédien peut se couler dans toutes les personnalités. En revanche il importe qu’ait eu lieu préalablement une phase d’étude approfondie du rôle, une appropriation du personnage, pour le jouer juste ensuite. Genest de Rotrou insiste sur le travail de conformation : « Je sais (pour l’éprouver) que par un long étude, / L’art de nous transformer, nous passe en habitude ». Molière, pour sa part, recommande d’avoir « toujours ce caractère devant les yeux, pour en bien faire les grimaces ». Pour Anouilh, cet examen préparatoire des motivations et des sentiments du personnage permet à l’acteur d’être « abominablement faux », c’est-à-dire de donner parfaitement le change. Trois textes posent aussi la question des risques de la perméabilité des frontières entre fiction et réalité : l’aliénation de Genest, les questions d’Hortensia sur la sincérité qui débouchent sur cette crainte de la confusion avec le rôle : « Si c’est un jeu que vous jouez, il n’est pas drôle ! Vous venez de dire que nous n’étions pas nous… ». Quant à Kean, mû par une jalousie assassine, il passe brutalement de l’autre côté du miroir pour faire pénétrer la fiction dans la réalité la plus triviale. Il n’est pas étonnant qu’il soit ressenti par le public comme une vraie menace. Dans un « silence de mort », il annonce sa dissolution dans le personnage d’Othello, en même temps que la schizophrénie de sa personnalité. Finalement qui est l’acteur ? Peut-il encore avoir une identité propre ? Enfin tous les textes mettent en œuvre une même technique pour porter ce regard réflexif sur l’étrangeté (parfois monstrueuse) du comédien : le théâtre dans le théâtre. En effet le théâtre en abyme crée pour le spectateur l’illusion d’une plus grande réalité par l’emboîtement de plusieurs intrigues parallèles et correspondantes. En outre, le public est invité à découvrir les rouages du métier de comédien par la distanciation qui résulte de ce regard complexe. Ainsi tous les auteurs nous livrent-ils leur fascination pour ces artistes fragiles et protéiformes qui portent leur texte. TOPIC : Le théâtre : texte et représentation SOURCE : Linguistic Studies ** http://languages.forumactif.org/ |
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